By Tsubasa Shinohara (Master of Law, University of Meiji, Candidate of Master in Law, Lausanne University) – The author expresses his personal opinions.
- Introduction
En 2017, un nouveau traité a été créé par la communauté internationale pour le désarmement nucléaire : Le traité sur l’interdiction des armes nucléaires (ci-après le TIAN) a été approuvé le 7 juillet 2017 aux Nations Unies à New York. En ce moment, il est ratifié par 35 États, et signé par 81 États.[1] Le traité « entre en vigueur 90 jours après le dépôt du cinquantième instrument de ratification, d’acceptation, d’approbation ou d’accession ».[2]
Pour placer ce traité dans son contexte, en premier lieu, nous allons analyser la jurisprudence pertinente pour le désarmement nucléaire précédant la création du TIAN. A travers de cette analyse, nous clarifierons comment la communauté internationale a abouti à la création de normes juridiques d’interdiction d’emploi des armes nucléaires. Cet article a pour but de promouvoir une compréhension du processus du désarmement nucléaire, en particulier pour des non-spécialistes, car il est nécessaire de compléter une fossé de connaissance spécifique dans ce domaine entre les experts et la société civile. A cette fin, il semble nécessaire de donner un résumé du contenu de la jurisprudence pour faciliter la compréhension de cette nouvelle convention internationale.
Cet article se présente comme suit : à la suite de cette introduction, nous allons analyser quatre arrêts importants pour le désarment nucléaire avant de la création du TIAN. A la fin, cet article tirera quelques conclusions générales pour le désarmement nucléaire.
2. L’analyse de la jurisprudence importante pour le désarmement nucléaire
Ce chapitre analysera cinq arrêts importants concernant le désarmement nucléaire pour montrer comment la communauté internationale a développé une norme juridique interdisant aux États d’utiliser les armes nucléaires.[3]
A. L’affaire Shimoda
L’affaire Shimoda est la première décision concernant la licéité en vertu du droit international du bombardement par armes nucléaires sur les sites d’Hiroshima et de Nagasaki par les États-Unis.[4] Le jugement dans cette affaire se divise en deux parties : d’une part, la illicéité de l’emploi des armes nucléaires, et d’autre part, le refus de la demande de compensation formulée par les victimes en raison de la renonciation des droits de victimes sur la base du droit international et national en vertu du traité de la paix avec le Japon (le traité de San Francisco). Dans cette section, en particulier, nous allons nous concentrer sur la première partie de ce jugement.
Ryuichi Shimoda et quatre autres plaignants, ayant subis le bombardement par armes nucléaires sur les sites d’Hiroshima et de Nagasaki, avaient demandé une compensation pour des dommages dus à l’utilisation illégale d’armes nucléaires par les États-Unis en raison de plusieurs violations du droit international public, en particulier selon la Règlement concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre du 29 juillet 1899 et les Draft Rules of Air Warfare de 1923.[5] Sur cette base, la Cour japonais a rejeté une demande de compensation contre le gouvernement japonais en vertu de l’article 19 (a) du traité de la paix, stipulant que « Japan waives all claims of Japan and its nationals against the Allied Powers and their nationals arising out of the war or out of actions taken because of the existence of a state of war », bien que le bombardement américain fût illicite car la bombe atomique était à qualifier d’arme cruelle[6] en vertu du droit international.[7]
Dans cette décision, il y avait deux questions principales: d’une part, est-ce que le droit international peut s’appliquer à des armes nucléaires pour interdire aux États de les employer malgré l’inexistence d’une norme d’interdiction de ces armes ? D’autre part, est-ce que les armes nucléaires peuvent être prohibées sur la base de deux principes de droit international humanitaire, à savoir le principe de distinction[8] (autrement dit, doctrine d’objectifs militaires), et le principe de proportionnalité[9] (il est interdit d’utiliser des moyens et méthodes de guerre considérés comme infligeant des maux superflus aux combattants)?
Pour répondre à ces questions, la Cour japonaise a décidé, tout d’abord, que le droit international s’appliquait à cette affaire. En ce qui concerne le principe de distinction, ce principe doit être interprété en tant que droit international coutumier.[10] En règle générale, on comprend ce principe comme la règle de droit international humanitaire selon laquelle les belligérantes doivent faire une distinction entre les objectifs militaires et non-militaires (incluant la population civile et les bâtiments non militaires comme l’école, par exemple), lorsqu’elles utilisent des armes.[11]
En l’espèce, la Cour a indiqué que les villes d’Hiroshima et de Nagasaki n’étaient pas des villes militaires[12] et, par conséquent, que le bombardement par armes nucléaires sur ces sites était illicite et illégal en vertu du principe du distinction.[13] En effet, lors de l’emploi de ces armes nucléaires, les utilisateurs ne pouvaient plus faire une distinction entre les objectifs militaires ou non-militaires à cause de l’effet destructif.[14] En d’autres termes, les bombes atomiques qui ont été utilisées sur les sites d’Hiroshima et de Nagasaki ont détruit les deux villes en tant que villes non-militaires, et ont contribué à la souffrance inutile de la population civile et à la contamination de l’environnement par de substances radioactives. Par conséquent, la Cour a estimé que le bombardement par armes nucléaires par les États-Unis était illégal selon le principe de distinction puisqu’il était à considérer une attaque sans discrimination.[15]
Ensuite, concernant le principe de la proportionnalité, ce principe est défini pour la première fois dans la Déclaration de St. Petersburg en 1868.[16] En règle générale, si la force militaire est employée contre les objectifs non militaires, cette attaque doit être justifiée en vertu du principe de la proportionnalité; autrement dit, elle doit représenter un équilibre entre un dommage d’objectifs non militaires causés par l’attaque et les avantages militaires de l’attaque contre les objectifs non-militaires.[17] Si le dommage provoqué par cette attaque est plus grave que les avantages militaires, il y a une violation du principe de la proportionnalité.[18] A cet égard, la Cour japonaise a noté que le nombre des victimes causées par les armes nucléaires a considérablement dépassé les avantages militaires américains.[19]
En outre, dans le contexte de ce principe, la Cour a examiné la licéité de méthodes et moyens de guerre par rapport à des dommages causés par les armes nucléaires.[20] A cet égard, la Cour a confirmé que les bombes atomiques avaient causé un dommage catastrophique, et avaient diffusé des substances radioactives sur la population civile domiciliée à Hiroshima et à Nagasaki[21]; qui plus est, les substances radioactives avaient pour conséquence que les victimes survivants ont subi des dommages irréparables, aussi bien corporels que mentaux. De ce fait, la Cour a decidé que « it is not too much to say that the pain brought by the atomic bombs is severer than that from poison and poison-gas, and we can say that the act of dropping such a cruel bomb is contrary to the fundamental principle of the laws of war that unnecessary pain must not be given ».[22] En d’autres termes, la Cour est arrivé à la conclusion que l’emploi d’armes nucléaires violait le principe de la proportionnalité car les bombes atomiques sont essentiellement des armes sans discrimination, capables de causer des dommages excessifs et irréparables contre les objectifs non-militaires.[23]
En conclusion, la Cour a décidé que le bombardement des armes nucléaires sur les sites d’Hiroshima et de Nagasaki avait violé les principes de distinction et de la proportionnalité, car ce bombardement était sans discrimination entre les objectifs militaires et non-militaires, et pouvait causer un dommage excessif et irréparable aux objectifs non-militaires, si bien qu’il n’existait pas d’équilibre entre les avantages militaires et les dommages contre les objectifs non-militaires.[24] Toutefois, la Cour n’a pas accepté la demande de victimes au titre de compensation de la souffrance inutile causée par l’emploi d’armes nucléaires[25] car, selon l’article 19 (a) du traité de la paix avec le Japon, elle a prononcé une décision selon laquelle « it does not follow that the Japanese Peace Treaty admitted Japanese nationals’ claims for damages in international law and accordingly made them the object of waiver ».[26]
B. L’affaire Licéité de l’utilisation des armes nucléaires par un État dans un conflit armé
Dans l’affaire Licéité de l’utilisation des armes nucléaires par un État dans un conflit armé,[27] l’Organisation mondiale de la Santé (ci-après dénommée l’OMS) a soumis une question juridique à la Cour par une demande d’avis consultatif, étant donné que les armes nucléaires constituent une menace permanente pour la santé et l’environnement.[28] La Cour a décidé de ne pas se prononcer sur la question de savoir si « compte tenu des effets des armes nucléaires sur la santé et l’environnement, leur utilisation par un État au cours d’une guerre ou d’un autre conflit armé constituerait … une violation de ses obligations au regard du droit international, y compris la Constitution de l’OMS ».[29]
En effet, la Cour a analysé les capacités de l’OMS à soumettre une question juridique par rapport à l’utilisation des armes nucléaires conformément à la Charte des Nations Unies, la Constitution de l’OMS, et la jurisprudence de la CIJ. A la fin, elle a estimé que la question sur laquelle portait la demande d’avis consultatif ne se posait pas « dans le cadre de [l’] activité » de cette organisation tel que défini par sa Constitution ».[30]
C. L’affaire Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires
Dans l’affaire Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires,[31] la Cour a considéré, dans le cadre d’un avis consultatif demandé par l’Assemblée générale des Nations Unies, la question suivante : « [e]st-il permis en droit international de recourir à la menace ou à l’emploi d’armes nucléaires en toute circonstance ? ».[32]
La Cour, tout d’abord, a examiné quels domaines juridiques étaient applicables à la question posée. En première partie, elle a analysé la question de la licéité d’armes nucléaires au regard des droits de l’homme,[33] en particulier, au regard du droit à la vie garanti par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques.[34] Elle a observé à cet égard que « la protection offerte par le pacte internationale relatif aux droits civils et politiques ne cesse pas en temps de guerre, si ce n’est par l’effet de l’article 4 du pacte, qui prévoit qu’il peut être dérogé, en cas de danger public, à certaines des obligations qu’impose cet instrument ».[35] En principe, « le droit de ne pas être arbitrairement privé de la vie vaut aussi pendant des hostilités », mais, « [c]’est…le droit applicable dans les conflits armés, conçu pour régir la conduite des hostilités, qu’il appartient de déterminer ce qui constitue une privation arbitraire ».[36]
En deuxième partie, la Cour a tenu compte de la protection de l’environnement en vertu du droit international.[37] L’article 35, paragraphe 3 du Premier Protocol aux Conventions de Genève interdit l’emploi de « méthodes ou moyens de guerre qui sont conçus pour causer, ou dont on peut attendre qu’ils causent, des dommages étendus, durables et graves à l’environnement naturel ». Il était également pertinent de prendre en compte la déclaration de Stockholm de 1972 (principe 21) et la déclaration de Rio de 1992 (principe 2). A propos de ces instruments internationaux, la question était de savoir s’ils pouvaient s’appliquer aux conflits armés.
La Cour a confirmé le fait que l’arme nucléaire « est potentiellement d’une nature catastrophique », car ces « armes ont le pouvoir de détruire toute civilisation, ainsi que l’écosystème tout entier de la planète ».[38] De ce fait, « il est impératif que la Cour tienne compte des caractéristiques uniques de l’arme nucléaire, et en particulier de sa puissance destructrice, de sa capacité d’infliger des souffrances indicibles à l’homme, ainsi que de son pouvoir de causer des dommages aux générations à venir ».[39]
Ensuite, la Cour a commencé à examiner la question de la licéité ou de l’illicéité d’un recours aux armes nucléaires selon la Charte des Nations Unies, en particulier au regard de l’article 2, paragraphe 4. « La menace ou l’emploi de la force contre l’intégralité territoriale ou l’indépendance politique de tout État dans une communauté internationale, ou de toute autre manière incompatible avec les buts des Nations Unies » sont interdits en vertu de cette disposition.[40] Les autres dispositions pertinentes relatives à l’emploi de la force sont les article 51 et 42 de la Charte : d’une part, le droit naturel de légitime défense, individuelle ou collective, et d’autre part, la disposition en vertu de laquelle « le Conseil de sécurité peut prendre des mesures coercitives d’ordre militaire conformément au chapitre VII de la Charte ».[41]
Après avoir examiné la Charte, la Cour s’est penchée sur le droit applicable dans les situations de conflits armés. Elle a tenu compte avant tout de la question « de savoir s’il existe en droit international des règles spécifiques qui régissent la licéité ou l’illicéité du recours aux armes nucléaires ».[42] A cet égard, la Cour a d’abord examiné s’il existe une disposition conventionnelle et s’est référée, notamment, à la deuxième déclaration de La Haye du 29 juillet 1899,[43] l’article 23 a) du règlement concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre, annexé à la convention IV de La Haye du 18 octobre 1907,[44] et le Protocol de Genève du 17 juin 1925.[45] En outre, elle a cité les conventions internationales suivantes : les traités par rapport aux armes biologiques et chimiques; l’acquisition, la fabrication et la possession d’armes nucléaires[46]; le déploiement d’armes nucléaires[47]; les essais nucléaires[48], le traité de Tlatelolco du 14 février 1967[49]; le traité de Rarotonga du 6 août 1985[50]; le traité sur la non-prolifération des armes nucléaires.[51]
En ce qui concerne ces domaines applicables, la Cour a tenu compte également du droit international coutumier. Sur la base de cette décision, elle a indiqué l’existence de droit coutumier en employant les résolutions de l’Assemblée générale.[52] Découlant du droit coutumier humanitaire, la Cour a observé le principe de distinction, d’une part, qui « est destiné à protéger la population civile et les biens de caractère civil, et établit la distinction entre combattants et non-combattants », et le principe de proportionnalité, d’autre part, selon lequel « il ne faut pas causer des maux superflus aux combattants ».[53] De même que l’affaire de Shimoda, elle a cité la clause de Martens pour confirmer l’existence d’un droit coutumier humanitaire.[54] Enfin, la Cour confirme que « les principes et règles du droit humanitaire s’appliquent aux armes nucléaires ».[55]
En conclusion, la Cour a décidé, unanimement, que « [n]i le droit international coutumier ni le droit international conventionnel n’autorisent spécifiquement la menace ou l’emploi d’armes nucléaires »,[56] et qu’« [e]st illicite la menace ou l’emploi de la force au moyen d’armes nucléaires qui serait contraire à l’article 2, paragraphe 4, de la Charte des Nations Unies et qui ne satisferait pas à toutes les prescriptions de son article 51 »[57]. Du plus, elle a estimé aussi sans outre mesure que « [l]a menace ou l’emploi d’armes nucléaires devrait aussi être compatible avec les exigences du droit international applicable dans les conflits armés, spécialement celles des principes et règles du droit international humanitaire, ainsi qu’avec les obligations particulières en vertu des traités et autres engagements qui ont expressément trait aux armes nucléaires ».[58]
La Cour a néanmoins ajouté ce qui suit : « la Cour ne peut pas cependant conclure de façon définitive que la menace ou l’emploi d’armes nucléaires serait licite ou illicite dans une circonstance extrême de légitime défense dans laquelle la survie même d’un Etat serait en cause ».[59] Cette phrase est extrêmement importante afin de comprendre la situation actuelle en matière d’armes nucléaires.
De surcroît, et encore plus important pour le désarmement nucléaire, la Cour a également confirmé que « [i]l existe une obligation de poursuivre de bonne foi et de mener à terme des négociations conduisant au désarmement nucléaire dans tous ses aspects, sous un contrôle international strict et efficace ».[60] Ce point est basé sur l’article VI du TNP,[61] et de ce fait, il est important et très utile, que la Cour a réaffirmé l’existence de l’obligation, imposée à tous les États, de poursuivre de bonne foi des négociations sur le désarmement nucléaire.
D. L’arrêts Iles Marshall
En 2014, les Iles Marshall ont introduit une affaire à la CIJ contre neuf pays qui possèdent des armes nucléaires (la Chine, les États-Unis d’Amérique, la Russie, l’Inde, Israël, le Pakistan, la Corée du Nord, et le Royaume-Uni). En particulier, parmi ces États, l’Inde, le Pakistan et le Royaume-Unis ont reconnu la juridiction obligatoire de la Cour en vertu de l’article 36, paragraphe 2 du Statut de la Cour International de Justice, si bien que la Cour a examiné la recevabilité de la requête et sa compétence pour statuer.
Dans l’affaire Iles Marshall c. Royaume-Unis,[62] les Iles Marshall ont fait valoir que le Royaume-Unis ne respectait pas l’obligation de poursuivre de bonne foi des négociations concernant la cessation de la course aux armes nucléaires et le désarmement nucléaire sur la base de l’Article VI du traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP).[63] Dans les affaire Iles Marshall c. Inde[64]et Iles Marshall c. Pakistan,[65] ils invoquent la même violation, mais sur la base du droit international coutumier.[66] S’agissant de ces affaires, il est nécessaire de les distinguer de l’avis consultatif de la Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, parce qu’elles ne traitent pas de la licéité d’armes nucléaires en tant que tel.
Parmi ces trois affaires, la Cour a examiné la question principale de savoir s’il existe un différend d’ordre juridique entre les Iles Marshall et le Pakistan, l’Inde et le Royaume-Uni.
A cet égard, en ce qui concerne les affaires Iles Marshall c. Inde et Iles Marshall c. Pakistan, la Cour a considéré que « [s]elon l’article 38 du Statut, la mission de la Cour est de régler conformément au droit international les différends qui lui sont soumis par les États », et donc « [l]’existence d’un différend entre les Parties est … une condition à la compétence de la Cour ».[67] Pour identifier un différend entre les parties, la Cour a indiqué que « les Iles Marshall, de par les souffrances qu’a endurées leur population par suite des importants programmes d’essais nucléaires du désarmement nucléaire », mais « cet état de fait ne change rien à la nécessité d’établir que les conditions régissant la compétence de la Cour sont remplies ».[68] Pour cela, les Iles Marshall « ne se réfèrent à aucun échange diplomatique bilatéral ou communication officielle avec » l’Inde et le Pakistan, « ni à aucune consultation bilatérale ou négociation entre les deux États au sujet du manquement allégué du défendeur à ses obligations ».[69] Toutefois, l’Etat requérant « invoque deux déclarations … avant la date du dépôt de sa requête, qui … suffisent à établir l’existence d’un différend », et de ce fait, « la question qui se pose en la présente espèce est … de savoir si les déclarations invoquées par les Iles Marshall suffisent à démontrer l’existence d’une telle opposition ».[70] A cet égard, la Cour estime que ces déclarations ne suffisent pas à établir l’existence d’un différend « ayant trait à l’existence à la portée des obligations alléguées de droit international coutumier consistant à poursuivre de bonne foi et mener à terme des négociations conduisant au désarmement nucléaire dans tous ses aspects, sous un contrôle international …. et à mettre fin à une date rapprochée à la course aux armements nucléaires ».[71] En conséquence, la Cour conclut qu’elle « n’a pas compétence en la présente espèce au titre du paragraphe 2 de l’article 36 de son Statut ».[72]
Par ailleurs, dans l’affaire Iles Marshall c. Royaume-Uni la Cour a examiné de même manière que les deux autres arrêts, et arrive à la conclusion que les deux déclarations invoquées par les Iles Marshall ne suffisent pas à établir l’existence d’un différend entre deux États en lien avec l’article VI du TNP et le droit international coutumier.[73] En effet, « aucune déclarations faites par les Iles Marshall dans un cadre multilatéral en concernait spécifiquement le comportement du Royaume-Uni ».[74] Ainsi, la Cour n’a pas compétence pour traiter cette affaire non plus.[75]
En conclusion, la Cour a jugé qu’elle n’a pas compétence pour traiter ces affaires et donc n’a pas accepté les demandes par les Iles Marshall contre les trois États. Bien que les demandes faites par les Iles Marshall aient été rejetées par la Cour, ces litiges contribuent à reconfirmer le contenu de jurisprudences de la CIJ, en particulier un avis consultatif sur la licéité de menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, indiquant l’existence d’« une obligation de poursuivre de bonne foi et de mener à terme des négociations conduisant au désarmement nucléaire dans tous ses aspects, sous contrôle international strict efficace »[76].
3. Conclusion
Nous allons conclure cette analyse sur les quatre affaires importantes dans le domaine du désarmement nucléaire qui ont contribué à promouvoir une compréhension du processus du désarmement nucléaire et à compléter une fossé de la connaissance spécifique entre les experts et la société civile dans ce domaine.
Selon l’affaire Shimoda, la Cour a clarifié une première fois que l’utilisation d’armes nucléaires à Hiroshima et Nagasaki a violé les règles du droit international humanitaire, en particulier le principe du distinction et de la proportionnalité. C’est pourquoi l’utilisation d’armes nucléaires peut avoir pour conséquence une extermination massive d’êtres humains et une destruction sans discrimination. Par ailleurs,, les victimes attaquées par ces armes ont subi une souffrance radioactive qui subsiste jusqu’à maintenant. En d’autres termes, le bombardement peut être considéré comme une violation de droit international humanitaire.
Après avoir créé le TNP, la CIJ a rendu deux avis consultatifs sur la Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires. La Cour a clairement conclu que la menace ou l’emploi d’armes nucléaire est interdit en vertu de règles du droit international humanitaire. Toutefois, elle a également remarqué qu’elle n’était pas capable de juger la licéité ou l’illicéité de la menace ou l’emploi de ces armes lorsque les États contractants sont « dans une circonstance extrême de légitime défense dans laquelle la survie même d’un État serait en cause ». En outre, elle a également réaffirmé l’existence d’une obligation de poursuivre de bonne foi des négociations sur le désarmement nucléaire en vertu de l’article VI du TNP.
En troisième lieu, les affaires introduites par les Iles Marshall ont contribué à confirmer la jurisprudence de la CIJ sur l’obligation de poursuivre de bonne foi et de mener à terme des négociations conduisant au désarmement nucléaire dans tous ses aspects, sous contrôle international strict et efficace selon l’article VI du TNP et le droit international coutumier.
En conclusion, selon ces analyses des affaires importantes, il est possible de dire qu’il existe une norme d’interdiction de la menace ou l’utilisation d’armes nucléaires selon les règles du droit international coutumier, et une obligation qui incombe aux États contractants de poursuivre de bonne foi des négociations sur le désarmement nucléaire en vertu de l’article VI du TNP et le droit international coutumier. Le TIAN, quant à lui, interdit tous les aspects d’armes nucléaires selon son article premier. Il est donc probable qu’il existe une lacune juridique entre la jurisprudence mentionnée et le TIAN. Cet écart résiderait dans le fait que les quatre cas n’ont pas estimé l’interdiction absolue d’utilisation des armes nucléaires, alors que le TIAN prévoit une prohibition totale des armes nucléaires. Pour cela, nous allons devoir considérer précisément une solution pour compléter la fossé entre ces deux normes différentes.
[1]Le statut de ce traité est disponible sur le site d’ONU : https://treaties.un.org/Pages/ViewDetails.aspx?src=TREATY&mtdsg_no=XXVI-9&chapter=26&clang=_en (au 11 février 2020, ci-après ces informations en ligne sont confirmées à la même date) .
[2] Article. 15 du TIAN.
[3] Il est difficile de dire qu’il y a une norme juridique pour interdire les États de posséder les armes nucléaires, parce qu’il n’existe aucune jugements et conventions internationales interdisant la possession de ces armes sauf le TIAN. Pour cela, cet article se focalisera sur l’interdiction de l’utilisation d’armes nucléaires.
[4] Yoshiro Matsui, “The Historical Significance of the Shimoda Case Judgment, in View of the Evolution of International Humanitarian Law”, JALANA, pp. 1-9 (il est disponible sur http://www.hankaku-j.org/data/jalana/150428/004.pdf), pp. 1-9; Shimoda case (Compensation claim against Japan brought by the residents of Hiroshmina & Nagasaki), Tokyo District Court, 7 December 1963, Hanrei Jiho, vol. 355, p. 17 (la traduction anglais est disponible sur The Japanese Annual of International Law, vol. 8, 1964, pp. 212-252: cet article est basé sur la traduction anglais); voir aussi Comité International de la Croix-Rouge (CICR), pp. 626-642 (il est disponible sur https://ihl-databases.icrc.org/applic/ihl/ihl-nat.nsf/0/aa559087dbcf1af5c1256a1c0029f14d); See also Richard A. Falk, “The Shimoda Case : A Legal Apppraisal of the Atomic Attacks Upon Hiroshima and Nagasaki”, The American Journal of International Law, Vol. 59, No. 4 (Oct., 1965), pp. 759-793.
[5] Ibid., Shimoda case, pp. 213-217.
[6] Ibid., pp. 233-234.
[7] Ibid., pp. 234-242; A cette époque, il n’existait plus de droit international public stipulant directement les armes nucléaires puisque ces armes étaient la nouvelle invention de la civilisation pendant le deuxième guerre mondiale.
[8] Daniel Rietiker & Manfred Mohr, Treaty on the Prohibition of Nuclear Weapons – A short commentary article by article, IALANA (April, 2018), pp. 22-23, et pp. 95-106 (https://www.ialana.info/wp-content/uploads/2018/04/Ban-Treaty-Commentary_April-2018.pdf).
[9] Ibid., p. 23.
[10] Christopher Vail, “The Legality of Nuclear Weapons For Use And Deterrence”, Georgetown Journal of International Law, Vol. 48 (2016-2017), pp. 846-847.
[11] Pour cela, nous actuellement retrouvons ce principe dans le Protocol additionnel I de 1977 (PA I). En particulier, l’article 51 al. 2 dispose que « [n]i la population civile en tant que telle ni les personnes civiles ne doivent être l’objet d’attaques. Sont interdits les actes ou menaces de violence dont le but principal est de répandre la terreur parmi la population civile ». De plus, l’article 52, al. 2 prévoit également que « [l]es attaques doivent être strictement limitées aux objectifs militaires », et en outre l’article 51 al. 4 prescrit que « [l]es attaques sans discrimination sont interdites ». Ibid., pp. 848-850.
[12] Shimoda case, supra note 4, para. 2 (7) et (8), pp. 238-239.
[13] Ibid., para. 2 (8), pp. 239.
[14] Ibid., para. 1 (4), pp. 233-234, et para 2 (7), pp. 238-239.
[15] Ibid, para. 2 (10), p. 240 et para. 2 (11), pp. 241-242.
[16] La Déclaration à l’effet d’interdire l’usage de certains projectiles en temps de guerre, Saint Petersbourg du 11 décembre 1868. Elle est disponible sur site du CICR (https://ihl-databases.icrc.org/applic/ihl/dih.nsf/Article.xsp?action=openDocument&documentId=20C9164AAC62C500C12563BD002B8C6F).
[17] Nils Melzer, coordonné par Etienne Kuster, Droit International Humanitaire : Introduction Détaillée, Comité international de la Croix-Rouge, 2018, pp. 118-119.
[18] Ibid.
[19] Shimoda case, supra note 4, para. 2 (11), pp. 240-242; Voir aussi VAIL, supra note 10, p. 851.
[20] Ibid., Shimoda case.
[21] Ibid., pp. 231-234.
[22] Ibid., pp. 241-242; en ce moment, concernant les méthodes et moyen de la guerre, l’article 35 al. 2 PA I stipule qu’« [i]l est interdit d’employer des armes, des projectiles et des matières ainsi que des méthodes de guerre de nature à causer des maux superflus », et « [i]l est interdit d’utiliser des méthodes ou moyens de guerre qui sont conçus pour causer, ou dont on peut attendre qu’ils causeront, des dommages étendus, durables et graves à l’environnement naturel ».
[23] En plus de ces principes, l’utilisation d’armes nucléaire abouti à une violation du principe de l’humanité, car ces armes peuvent donner une souffrance inutile pour les victimes, si bien que les règles de droit international humanitaires ne peuvent pas permettre aux États d’employer ces armes.
[24] CICR, supra note 4, p. 627
[25] Shimoda case, supra note 4, para. 7, pp. 250-251.
[26] Ibid., para. 5 (6), p. 249.
[27] Licéité de l’utilisation des armes nucléaires par un État dans un conflit armé, Avis consultatifs du 8 juillet 1996, arrêt, C.I.J. Recueil 1996,pp. 66-85 (https://www.icj-cij.org/fr/affaire/93/avis-consultatifs); voir aussi Nicholas Grief, “Legality of the Threat or Use of Nuclear Weapons”, The International and Comparative Law Quarterly, Vol. 46, No. 3 (Jul., 1997), pp. 681-682.
[28] Ibid., p. 67.
[29] Ibid., para. 16, p. 73.
[30] Ibid., para. 26, p. 81.
[31] Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatifs, C.I.J. Recueil 1996, pp. 226-267 (https://www.icj-cij.org/fr/affaire/95/avis-consultatifs); voir aussi Ivan Krmpotic, “To The Edge and Back : The I.C.J Advisory Opinion on The Legality of The Threat or Use of Nuclear Weapons”, Michigan State University-DCL Journal of International Law, Vol. 9, no. 2, Summer (2002), pp. 315-326; GRIEF, supra note 26, pp. 683-688.
[32] Ibid., para. 1, p. 228.
[33] Ibid., para. 24-25, pp. 239-240.
[34] L’art. 6, para. 1, le pacte international relatif aux droits civils et politiques : « [l]e droit à la vie est inhérent à la personne humaine. Ce droit doit être protégé par la loi. Nul ne peut être arbitrairement privé de la vie ».
[35] Supra note 32, para. 25, p. 240.
[36] Ibid.
[37] Ibid., para. 27-33, pp. 241-243.
[38] Ibid., para. 35, p. 243.
[39] Ibid., para. 36, p. 244.
[40] Ibid., para. 38, p. 244.
[41] Ibid., para. 38, p. 244.
[42] Ibid., para. 51, p. 247.
[43] Il prévoit que « l’emploi de projectiles qui ont pour but unique de répandre des gaz asphyxiants ou délétères ».
[44] Il prévoit que « il est notamment interdit : … d’employer du poison ou des armes empoisonnées ».
[45] Il prévoit que « l’emploi à la guerre de gaz asphyxiants, toxiques ou similaires, ainsi que de tous liquides, matières ou procédés analogues ».
[46] Supra note 32, para. 58 a), pp. 248-249.
[47] Ibid., para. 58 b), p. 249.
[48] Ibid., para. 58 c), p. 249.
[49] Ibid., para. 59 a), pp. 249-250.
[50] Ibid., para. 59 b), pp. 250-251
[51] Ibid., para. 59 c), pp. 251-252
[52] Ibid., para. 64-73, pp. 253-255.
[53] Ibid., para. 78, p. 257.
[54] Ibid.
[55] Ibid., para. 87, p. 260. La Cour aussi tient compte du principe de neutralité. Voir aussi ibid., para. 88-89, pp. 260-261.
[56] Ibid., para. 105 (2) A, p. 266.
[57] Ibid., para. 105 (2) C, p. 266.
[58] Ibid., para. 105 (2) D, p. 266.
[59] Ibid., para 105 (2) E, p. 266.
[60] Ibid., para. 105 (2) F, p. 267,
[61] Ibid., para. 102 et 103, pp. 264-265.
[62] Obligations relatives à des négociations concernant la cessation de la course aux armes nucléaires et le désarmement nucléaire (Iles Marshall c. Royaume-Uni), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2016, p. 833
[63] Ibid., para. 1.
[64] Obligations relatives à des négociations concernant la cessation de la course aux armes nucléaires et le désarmement nucléaire (Iles Marshall c. Inde), compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 2016, p. 255.
[65] Obligations relatives . des négociations concernant la cessation de la course aux armes nucléaires et le désarmement nucléaire (Iles Marshall c. Pakistan), compétence et recevabilité., arrêt, C.I.J. Recueil 2016, p. 552
[66] Iles Marshall c. Inde,para. 1; Iles Marshall c. Pakistan, para. 1.
[67] Iles Marshall c. Inde. para. 33; Iles Marshall c. Pakistan, para. 33.
[68] Iles Marshall c. Inde,para. 41; Iles Marshall c. Pakistan, para.41.
[69] Iles Marshall c. Inde, para. 44; Iles Marshall c. Pakistan, para.44.
[70] Iles Marshall c. Inde, para. 45; Iles Marshall c. Pakistan, para.45.
[71] Iles Marshall c. Inde, para. 47; Iles Marshall c. Pakistan, para.47.
[72] Iles Marshall c. Inde, paras 54-55; Iles Marshall c. Pakistan, paras. 54-55.
[73] Iles Marshall c. Royaum-Uni, supra note 63, paras. 50-52.
[74] Ibid., para. 57.
[75] Ibid., para. 58.
[76] Supra note 32, para. 105 (2) F et para. 20.